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Les Echos, correspondant à Moscou Benjamin Quenelle

Rosatom n'exporte que des réacteurs ayant fait leurs preuves en Russie. Le groupe vise un carnet de commandes de 130 milliards en fin d'année. Le géant russe Rosatom participe ce lundi à Paris à un séminaire sur la coopération franco-russe dans le nucléaire. Entretien avec Kirill Komarov, directeur général adjoint en charge de l'international. 

Les tensions géopolitiques ont-elles eu un impact sur votre partenariat avec la France ? 
Nos échanges commerciaux annuels en équipements nucléaires avec la France s'élèvent à environ un milliard d'euros, si l'on ajoute les ventes des deux parties. Nous travaillons avec EDF, Areva, Alstom, Dassault, Schneider Electric. Cela n'a pas fléchi à cause de la crise politique. Les sanctions européennes ne nous ciblent pas et aucun de nos partenariats n'a pris fin. Mais ce serait faux de dire que nous n'en sentons pas les effets. Nos interlocuteurs sont plus prudents et multiplient les vérifications. Cela ne nous a pas empêchés de signer des accords de financement avec des banques occidentales et un nouveau MOU avec Engie de coopération sur la modernisation des systèmes de maintenance de centrales. Pour le moment, avec Engie ou EDF, nous n'avons pas de projet commun de construction de réacteurs. Mais ce n'est pas exclu. 

Quelles sont vos priorités à l'international ? 
Nous avons gagné les contrats de construction pour 36 réacteurs à l'étranger. Seize sont déjà en chantier : deux en Biélorussie, trois en Inde, deux en Chine, un en Finlande, deux en Hongrie, quatre en Turquie et deux au Bangladesh. Tous sont des réacteurs de troisième génération (VVER 1200 ou 1000). Nous avons fini 2015 avec un carnet de commandes international de plus de 110 milliards de dollars, couvrant toutes nos activités, qu'il s'agisse de la construction de réacteurs, de l'approvisionnement en uranium ou de l'enrichissement. Nous espérons que, d'ici la fin de l'année, ce total passera à 130 milliards de dollars. Cela devrait inclure au moins quatre nouveaux réacteurs en Egypte. Nous cherchons de nouveaux contrats partout dans le monde. Au Moyen-Orient : Jordanie, Emirats, Arabie saoudite. Mais surtout en Asie, en Inde et dans les pays d'Asie du Sud-Est cherchant à se doter de leur première centrale comme le Bangladesh ou le Vietnam. 

Et en Europe ?  
En Europe, neuf nouveaux réacteurs sont en construction, dont sept utilisent des technologies russes [NDLR : cela inclut les deux réacteurs construits en Slovaquie par Enel]. Nous cherchons d'autres marchés, au Royaume-Uni où on suit de près Hinkley Point, en Tchéquie et en Slovaquie. Dans les pays où c'est possible, nous proposons notre formule « build, own, operate » : on construit, on possède et on exploite. C'est déjà le cas en Turquie et Finlande. Le Nigeria et l'Indonésie sont intéressés. 

Comment réussissez-vous à vendre votre VVER 1200 à l'international, alors que l'EPR d'Areva est à la peine ? 
Rosatom s'est restructuré pour intégrer tous les secteurs de la chaîne nucléaire. Nous avons donc l'habitude de réaliser des projets de centrale dans leur totalité. Notre stratégie est de n'exporter que les types de réacteurs ayant déjà fonctionné en Russie. C'est le cas du VVER 1200. Fournir en grand nombre un même modèle permet de faire des économies d'échelle et de proposer des prix de l'électricité plus avantageux. 

Des prix de quel ordre ? 
En Finlande, nous l'évaluons à 50 euros par mégawattheure. Cela sera moins élevé au Bangladesh. Contrairement à nous, Areva a lancé son EPR à l'étranger, en Finlande. Cela signifie plus de risques, plus de coûts. Partout dans le monde, les premiers pas d'une nouvelle technologie ne se font jamais sans problèmes. Nous avons eu des discussions avec certains pays pour notre réacteur de quatrième génération, BN 800 à neutrons rapides, en exploitation dans une centrale en Russie. Mais nous ne pensons pas pouvoir l'exporter avant 2025 car il faut encore du temps pour perfectionner le système. 


Un géant de l'atome

Après la chute de l'URSS, le ministère de l'Energie atomique MinAtom a pris en charge les structures nucléaires soviétiques : il devient une agence fédérale en 2004, puis Rosatom trois ans plus tard.

Dirigée par Sergueï Kirienko depuis 2005, cette structure publique inclut plus de 350 entreprises et instituts différents, depuis la recherche jusqu'à l'export.

En 2015, les 35 réacteurs installés en Russie ont produit 19 % de l'électricité consommée dans tout le pays. Huit autres réacteurs sont en construction.

Le chiffre d'affaires de Rosatom s'est élevé à 800 milliards de roubles en 2015, soit 11 milliards d'euros au taux actuel.