Fr
L'opinion, Laurence Daziano
Le grand salon international du nucléaire, Atomexpo, vient de s’ouvrir sur les bords de la mer Noire, à Sotchi, dans la ville désormais célèbre pour avoir accueilli les Jeux Olympiques d’hiver en 2014 ainsi que de nombreuses rencontres à haut niveau dans la résidence du président russe. Evénement phare de Rosatom, le conglomérat nucléaire russe, Atomexpo réunit les représentants des entreprises nucléaires mondiales. 

La consommation mondiale d’énergie devrait fortement croître dans les prochaines décennies, essentiellement sous l’effet combiné de la croissance économique et démographique des pays émergents ainsi que de leur meilleur accès à l’énergie commercialisée. Dans ses Perspectives énergétiques internationales 2017, l’agence américaine de l’énergie prévoit que la consommation mondiale d'énergie devrait passer de 575 quadrillions d'unités thermiques britanniques (Btu) en 2015 à 663 quadrillions de Btu en 2030, puis à 736 quadrillions de Btu en 2040. Les pays asiatiques seraient en particulier responsables de plus de la moitié de l’augmentation de la demande sur cette période. 
Les besoins en énergie devraient être principalement fournis par les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire avec des perspectives de croissance respectives de 2,6% et 2,3% par an selon l’Agence américaine de l’énergie. Les industriels regroupés au sein de l’Association nucléaire mondiale estiment que 1.000 GW de nouvelles capacités doivent être installées d’ici à 2050 pour répondre aux besoins énergétiques, mais également aux nécessités climatiques de développer des énergies décarbonées. 

Dans ce cadre, le conglomérat nucléaire russe, Rosatom, s’est profondément transformé pour s’adapter au marché mondial et anticiper les futurs besoins du nucléaire civil. 

D’abord, Rosatom a développé de nouveaux types de réacteurs, construits en Russie mais adaptés à l’exportation. En mai 2016, à Novovoronej, à 500 kilomètres au sud de Moscou, Rosatom a lancé son réacteur de troisième génération (3G+) VVER, d’une puissance de 1.200 mégawatts. Et en février dernier, la première unité de la centrale de Léningrad-II a été lancé. Le 28 avril dernier, la première centrale nucléaire flottante a pris la mer, avec deux réacteurs de 35 mégawatts chacun, pour rejoindre la Sibérie orientale, prête à devenir l’installation énergétique la plus septentrionale. Le premier chargement en combustible étant prévu pour l’automne. Ces « petits » réacteurs doivent préfigurer de nouveaux modèles qui pourraient être exportés dans des zones où le coût d’installation d’une centrale permanente ne se justifie pas. 

Ensuite, Rosatom a engrangé plusieurs marchés à l’export. Le 3 avril dernier, les présidents turc et russe ont lancé le chantier de construction de la première centrale nucléaire en Turquie, à Akkuyu. Les quatre premiers réacteurs nucléaires turcs (4.800 mégawatts) seront construits par Rosatom pour un coût estimé à 16 milliards d’euros. Akkuyu doit couvrir, à terme, 10% des besoins en électricité de la Turquie et réduire sa dépendance aux importations énergétiques. Ce chantier symbolise, avec l’obtention de contrats en Finlande, en Hongrie ou en Biélorusse, l’offensive du nucléaire russe à l’export. Rosatom peut aujourd’hui se targuer d’avoir une technologie hautement compétitive. A l’heure où la France achève la restructuration de son industrie nucléaire, les perspectives de l’export sont complexes pour l’industrie tricolore en raison de l’équilibre financier de construction d’un EPR. Alors que les EPR chinois et finlandais sont en voie d’achèvement, EDF mise sur la vente prochaine de six EPR à l’Inde pour une valeur de plus de 50 milliards de dollars. Si la coopération avec la Chine est déjà très avancée, notamment sur le projet des EPR britanniques (les Chinois ont participé au financement du projet à Hinkley Point et ont d’autres EPR en projet en Grande-Bretagne), la coopération nucléaire demeure encore modeste avec Rosatom. Pourtant, la Russie dispose désormais d’une dynamique politico-commerciale porteuse dans le nucléaire, ce qui pourrait conduire EDF et Rosatom à envisager des projets communs, notamment sur les marchés à l’export. 

Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique
https://www.lopinion.fr/edition/international/a-sotchi-nucleaire-russe-fait-demonstration-force-chronique-laurence-150325