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Le Monde Economie, par Jean-Michel Bezat


La filière de l’atome entend démontrer lors de la World Nuclear Exhibition qu’elle demeure un acteur de poids malgré ses déboires.


La filière nucléaire française organisatrice d’un grand Salon alors qu’elle vit une douloureuse restructuration et souffre d’une image écornée par les incertitudes pesant sur son produit phare, le réacteur EPR de troisième génération… Après la Russie à la fin de mai et avant la Chine en décembre, la France organise au Bourget (Seine-Saint-Denis), du 28 au 30 juin, la deuxième édition de la World Nuclear Exhibition, après celle d’octobre 2014. Sans doute est-ce pour montrer qu’avec ses 2 500 entreprises elle reste un acteur sur lequel il faut compter malgré ses difficultés et la concurrence de plus en plus vive des Russes, des Chinois et des Coréens.


Le nucléaire est une industrie stratégique dans laquelle l’Etat joue un rôle central. Or depuis dix ans, les clients potentiels de la France s’interrogent sur les ratés dans le pilotage de la filière made in France. Il y a eu évidemment la guerre sans merci entre EDF et Areva, qui n’a pris fin qu’en 2014. Un ancien dirigeant d’EDF évoque désormais les interrogations d’investisseurs asiatiques, qui se demandent pourquoi la France travaille sur le réacteur EPR (1 650 MW) de troisième génération avec les Chinois de CGN et de CNNC, et sur l’Atmea (1 000 MW) avec les Japonais de Mitsubishi Heavy Industries alors qu’on sait les relations sino-japonaises très mauvaises.


Et tout cela n’est rien comparé à la cacophonie qui se fait parfois entendre au sein du gouvernement ! François Hollande, Manuel Valls, le premier ministre, et Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, ont jugé l’investissement d’EDF dans les deux EPR anglais d’Hinkley Point (16 milliards d’euros) vital pour l’avenir de la filière ; la ministre de l’énergie, Ségolène Royal, se demandait le 13 mai, dans les colonnes du Financial Times, « si [la France devait] poursuivre ce projet », avant d’ajouter : « Je pense que si Hinkley Point ne se concrétisait pas, cela ne mettrait pas en péril le secteur français du nucléaire. »


Des difficultés de financement


La question est donc posée : l’Etat soutient-il suffisamment sa filière très en amont des contrats ? « Le gouvernement n’a jamais mis les moyens au service de cette politique, ce que les Russes et les Coréens font très bien », regrette Alain Bugat, ex-administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), aujourd’hui à la tête du consultant NucAdvisor. Mais son plus lourd handicap reste, à ses yeux, les difficultés de financement pour une industrie hautement capitalistique. Lever en capital les trois quarts d’un prix moyen de 5 milliards pour un réacteur et emprunter pour boucler le tour de table relève de la gageure. Les banques européennes sont très frileuses et contraintes par le renforcement de ratios prudentiels imposés par les accords de Bâle I, II et III.


Et, là encore, les concurrents de la France, Russie en tête, dament le pion aux Français. Ainsi le russe Rosatom propose sa formule complète « construire, posséder et exploiter une centrale » aux pays sans aucune expérience de l’atome civil. Et il vend un réacteur de troisième génération, VVER 1 200, ne fonctionnant qu’avec du combustible russe, retraité en Russie. De plus, « fournir en grand nombre un même modèle unique ayant déjà fonctionné en Russie permet de faire des économies d’échelle et de proposer des prix de l’électricité plus avantageux », explique Kirill Komarov, patron de l’international de Rosatom, dans un entretien aux Echos de lundi 27 juin.


Au milieu des années 2000, la France a choisi une autre voie avec son EPR. Plus puissant, plus cher, plus difficile à construire, il n’avait jamais été exploité par EDF avant d’être vendu à la Finlande et à la Chine.. Les deux chantiers se sont transformés au fil des ans en gouffres financiers d’environ 10 milliards d’euros chacun. Ancien directeur des affaires internationales d’EDF, Gérard Wolf se souvient de l’exclamation du patron de Bechtel, le géant américain des travaux publics, en visite sur le chantier de l’EPR de Flamanville : « C’est le plus complexe que j’ai jamais vu dans le monde ! »


De nombreux points positifs


L’EPR actuel n’est plus un atout. Les dérapages du calendrier et des coûts de Flamanville et d’Olkiluoto (Finlande) ont écorné la réputation d’excellence de la filière tricolore. « Cela s’effacera, mais partiellement », juge un expert, qui constate que les clients potentiels sont « inquiets » face à la complexité de ce réacteur. Les ingénieurs d’EDF et d’Areva travaillent sur un « EPR nouveau modèle » plus compétitif. Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, reconnaît que pour renouveler le parc de 58 réacteurs avec une quarantaine d’EPR de ce type à partir de 2025 il devra faire appel à des partenaires, y compris étrangers.


Restent de nombreux points positifs, notamment la présence de la France dans tous les métiers du nucléaire. Le pays garde sa réputation d’excellence sur le cycle du combustible, estiment les dirigeants d’Areva, recentré sur l’extraction et l’enrichissement de l’uranium et le recyclage des combustibles usés. « La filière est malade, mais son cerveau est en bon état, ajoute M. Wolf. Les équipes d’EDF et d’Areva à l’international gardent la cote, aussi bien pour leur qualité opérationnelle que pour leur vision à long terme. »


Et au-delà de ses poids lourds (EDF, Areva, Alstom, CEA), la filière compte de nombreuses entreprises performantes (Onet, Dassault Systèmes, Ponticelli, Assystem, Daher…), souvent très demandées par les constructeurs de centrales. Elle s’est regroupée en 2014 au sein de l’Association des industriels français exportateurs du nucléaire, sur le modèle du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales. Il y a du chemin à faire. « Il faudrait qu’EDF soit responsable de toute la filière, comme Airbus l’est pour l’aéronautique, prévient M. Bugat. Et que les autres acteurs ne soient pas de simples exécutants, mais puissent prendre en charge de véritables sous-ensembles fonctionnels, comme Zodiac dans l’aéronautique. »


Au moins la France, qui exploite le deuxième parc nucléaire mondial derrière les Etats-Unis, n’a-t-elle pas à reconstruire de fond en comble une image détruite, comme la Russie après Tchernobyl ou le Japon après Fukushima. Ce n’est ni la sûreté ni son savoir-faire dans l’exploitation de centrales qui est en jeu, mais la compétitivité de son industrie dans un secteur de plus en plus concurrentiel.


http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/06/28/en-crise-le-nucleaire-francais-tente-de-redorer-son-blason_4959635_3234.html